Les dystopies : quel imaginaire pour le changement climatique.

Les dystopies : une ville polluée sort d'un livre et se fait engloutir par les vagues

Rédaction : Anita Van Belle

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Comment communiquer dans une société sujette aux crises, qui perçoit le changement climatique comme un défi ? Idée peut-être inattendue, mais féconde : se pencher sur son imaginaire. De nombreuses fictions et ouvrages théoriques élaborent de nouveaux récits pour notre futur. Ils l’envisagent tour à tour sombre (les dystopies) ou plus conscient de notre rapport au vivant (ecofiction). Pour prendre le pouls du monde, tour d’horizon de ces récits et de leurs enjeux dans un dossier en trois volets.

Dans la première partie de ce dossier, nous explorerons la littérature dystopique, celle qui nous prédit un sombre avenir, complétée par la théorie de l’effondrement. Dans une seconde partie, nous verrons comment les auteurs, d’écofiction notamment, tentent de restaurer notre relation au vivant, accompagnés par des biologistes ou des philosophes. En guise de conclusion, nous examinerons les tentatives de sensibilisation et de mobilisation des citoyens : quelles options ont été explorées et quelles conclusions peut-on en tirer ?

Car la communication, davantage encore que d’autres métiers, est en prise avec l’air du temps. Nous ne pouvons pas ignorer les images mentales qui forment la toile de fond de nos messages et celle des hommes et femmes qui les lisent.

Les récits du changement climatique : dystopies, collapsologie, ecofiction

Parmi tous les futurs possibles pour le XXIe siècle, le changement climatique représente l’enjeu le plus anxiogène. De quelle manière va-t-il nous affecter, à court et long terme ? Quel type de société engendrera-t-il ? Faut-il confier notre destin à la technologie ou à la mobilisation citoyenne ?

Depuis les années 1990, les scientifiques tentent de nous alerter sur les dangers que représentent nos émissions de CO2, sur ses conséquences désastreuses pour l’humanité et les écosystèmes. Ceux qui cherchent encore aujourd’hui à nous convaincre d’agir se basent sur cette vérité simple : « Nous n’avons pas de planète B. »

Les rapports et les chiffres sont demeurés longtemps inaudibles. Au point que des auteurs de fiction, pourtant rebelles à la littérature de « messages » se sont emparés du sujet. Leur argument : plonger le lecteur dans un contexte, lui donner à ressentir les émotions des personnages sera plus persuasif que mille articles ou schémas.

La climate fiction ou fiction climatique

« Ils ont testé le futur pour vous. » Cette phrase d’accroche, destinée à promouvoir la littérature d’anticipation du changement climatique, ne reflète pas l’infinie diversité de ses scénarios. Dans ce cas, il n’y a pas « un », mais une multitude de futurs. L’histoire qui naît de la projection de notre futur climatique, de ses conséquences, tient à l’origine, à la culture, parfois même au genre de ses auteurs. Entre les sécheresses meurtrières et les villes ultra-violentes de Paolo Bacigalupi et la fusion intime avec la forêt des héroïnes de Jean Hegland, il n’y a de commun que la certitude du manque et d’un passé qui ne reviendra pas.

Cependant, ce slogan relève le courage, peut-être, certainement la nécessité éprouvée par les autrices et auteurs de se projeter dans un avenir qu’ils anticipent souvent apocalyptique et violent, pour « tester » ce qu’il nous réserve. 

C’est Dan Bloom, auteur de blog basé à Taïwan, qui a rassemblé les récits de futurs climatiques sous le terme : climate fiction, un nouveau genre qu’il voyait émerger. Pour brasser large, une définition ouverte : « la fiction climatique utilise le changement climatique comme décor, élément ou moteur de son intrigue. »

La fiction climatique comme moteur de changement

On peut les considérer comme naïfs, mais les autrices et auteurs de l’imaginaire ont embarqué dans la fiction climatique avec la foi. En « testant » ces futurs, ils espéraient véritablement provoquer une prise de conscience. 

Une autrice comme Barbara Kingsolver, par exemple, considère qu’avec ses romans, elle s’attaque « à une épidémie de cécité ». Pour elle, la fiction est une arme d’engagement. L’autrice norvégienne de best-sellers Maja Lunde dit qu’elle souhaite par ses romans « avoir une voix dans le débat climatique ».

Pour y parvenir, leurs œuvres, ainsi que celles des auteurs masculins, vont pointer notre avidité, le patriarcat ou le racisme. En vouloir toujours plus, imposer sa voix par l’autorité voire la force, se séparer de l’autre parce que l’on se considère supérieur, autant de causes à notre auto-destruction. 

Certains auteurs dépeignent nos sociétés en déliquescence, revenues à la survie par les armes comme le glaçant La route de Cormac McCarthy, d’autres, comme Margaret Atwood avec la trilogie Maddaddam, en inventent de transgéniques frappées par une pandémie mondiale. Tous nous prédisent un futur tronqué. Des dystopies pour provoquer une prise de conscience, les autrices et les auteurs nous montrent un futur que nous ne voulons PAS voir advenir.

Dystopies : les futurs indésirables

Ces dystopies prennent source dans notre réalité, par définition multiple. Et les aspects qui seront amplifiés par les autrices et les auteurs préfigurent des mondes très différents, qu’ils choisissent de s’attaquer à ce qui nous a menés là ou aux conséquences de nos choix.

L’ultra violence du capitalisme

Littérature et climat ? Science-fiction spéculative : Paolo Bacigalupi. L’auteur est réputé pour ses romans efficaces, aux personnages bien trempés. Leur écriture est sous-tendue par deux questions : « Où allons-nous ? Où pourrons-nous aller ? » Pour y répondre, il bâtit des scénarios extrêmes.

Le futur de Paolo Bacigalupi est tendu sur une toile de fractures sociales et économiques. Sur un fond de sécheresse et de canicules, les ultra-riches trouvent refuge dans des arcologies, arches autosuffisantes, alors que les pauvres s’entassent dans de nouveaux bidonvilles dans un contexte de guerre de l’eau (Water Knife : « un homme doit saigner pour qu’un homme boive »). 

Trafic de calories (La fille automate), généralisation des armées privées, prospérité des trafics et des mafias, femmes prostituées, enfants exploités, les fictions de Paolo Bacigalupi étirent jusqu’à ses conséquences ultimes l’individualisme et les règles « du marché ». 

Cette violence-là, de nombreux auteurs de dystopies s’en feront l’écho, mais aucun ne pousse l’exploitation rapace du chaos aussi loin que lui.

Les pères, leurs paroles sacrées

Scénariste et romancière norvégienne, Maja Lunde a écrit Une histoire des abeilles, traduit dans plus de trente langues. Son récit met en scène deux hommes et une femme. Les deux pères, vont, chacun à leur manière, briser le destin de leurs enfants par leur rigidité. La mère, elle, cherchera à sauver son fils dans le contexte délétère que les deux premiers ont contribué à créer. Car ces deux hommes, arc-boutés sur leurs convictions, aveugles au réel, sont détenteur d’une parole toute puissante, celle du chef de famille.

Sans l’expliciter, Maja Lunde nous suggère que le patriarcat, sa vision « objective » et « rationnelle » du monde, parfois coupée (délibérément) de la vie, des besoins et des désirs des autres humains, a fabriqué – et abimé – notre rapport à la terre. Avec pour conséquence cette période que nous avons baptisé l’anthropocène, où, pour la première fois de leur histoire, les humains sont responsables des plus grands changements géologiques. 

L’art de Maja Lunde, la mise en perspective de ses récits qui font alterner différentes époques, met habilement en scène les questions de transmission, mais aussi de responsabilité : quel monde préparons-nous à ceux qui nous suivent ? 

Militer, résister, des gestes suffisants (La fin des océans) ?

Le féminin, un autre adossé à la vie

Petit roman écrit sous forme de brèves, La fin dont nous partons, de Megan Hunter, décrit la relation organique d’une mère avec son nourrisson, tous deux obligés de fuir Londres sous eau. L’ouvrage a été encensé, en partie pour la manière dont il adosse la maternité et la perte (d’appartement, de repères, de moyens de subsistance).

Énorme succès de librairie, Dans la forêt, de Jean Hegland, retrace l’intimité entre deux sœurs sur fond de disparition du monde. Réfugiées dans la maison familiale, elles se heurtent au dénuement et finissent par retrouver la forêt environnante, par s’y fondre.

Héroïnes militantes ou fondatrice d’une nouvelle religion (Octavia Butler), les femmes apparaissent beaucoup, dans la fiction climatique, comme adossées à la vie et plutôt victimes de l’effondrement que complices. En ce sens, le futur indésirable est celui qui ne leur réserverait pas une juste place, qui ne respecterait pas cette capacité inouïe de donner la vie et de la préserver.

L’effondrement, la collapsologie

D’une fiction l’autre, dans le genre de la dystopie climatique, l’on croise beaucoup de paysages désertiques, de villes étrangement silencieuses et potentiellement mortelles sillonnées par des communautés assemblées par le hasard ou choisies. Les réfugiés climatiques se retrouvent dans des camps, où la nourriture est chiche et l’eau rare. Le scénario de l’effondrement, dessiné par les collapsologues, s’est réalisé.

Parmi eux, Yves Cochet et Agnès Sinaï définissent l’effondrement comme « le processus irréversible à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, etc.) ne sont plus fournis (à un coût raisonnable) à une majorité de la population par des services encadrés par la loi. » La collapsologie estime que l’effondrement naîtra de crises de différentes natures et conjuguées, c’est un champ de recherche interdisciplinaire.

L’apocalypse silencieuse

La biologiste Rachel Carson nous a avertis dans Le printemps silencieux (1962, déjà) que les pesticides et la pollution nous mèneraient à une nature muette. A contrario, les blockbusters américains, du type Le jour d’après, nous ont montré des fins du monde dignes d’une apocalypse. La collapsologie nous dit que nous ne subirons ni l’un ni l’autre, mais plutôt une alternance de crises et de répits, jusqu’à ce que les crises conjuguées mènent à un monde déséquilibré.

C’est sur ces toiles de fond que, même si nous ne lisons pas ou n’adhérons pas aux prédictions d’Yves Cochet, nos idées prennent naissance aujourd’hui. Les scientifiques qui s’occupent de ces matières souffrent, selon les psychologues, de stress prétraumatique : ils voient advenir quelque chose qu’ils ne peuvent ni prévenir ni arrêter. Peut-être est-ce pour cela qu’un certain nombre d’entre eux s’est mobilisé pour que nous entamions d’autres relations avec le vivant. Ce sera l’objet de notre prochain article, plus grouillant et plus… hybride !

Pour découvrir les dystopies de Climate fiction

Water knife, Paolo Bacigalupi, J’ai lu, 2018.

La fille automate, Paolo Bacigalupi, J’ai lu, 2013

Dans la forêt, Jean Hegland, Gallmeister, 2018

Dans la lumière, Barbara Kingsolver, Rivages poche, 2014

Une histoire des abeilles, Maja Lunde, Pocket, 2018

La fin des océans, Maja Lunde, Pocket, 2020

La fin dont nous partons, Megan Hunter, Gallimard, 2018

La parabole du semeur, Octavia Butler, Au Diable vauvert, 2020

Comment tout peut s’effondrer, Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Seuil, 2015

Le printemps silencieux, Rachel Carson, Wildproject, 2019

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