Le storytelling c’est quoi ? Et faut-il le jeter aux orties ?

Storytelling aux orties?

Rédaction : Arno Maneuvrier

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Théorisé au milieu des années 1990, le storytelling est depuis largement utilisé en politique, en marketing ou en communication interne. Portée aux nues puis galvaudée à outrance, la technique est désormais souvent décriée. Est-elle usée jusqu’à la corde ? Un copywriter consciencieux devrait-il la jeter aux oubliettes ? Ou y a-t-il toujours une opportunité à saisir, notamment pour le secteur non-marchand ? On fait le point avec ce premier article d’une série de trois.

Paradoxe : à notre connaissance, il n’existe pas de storytelling pour raconter l’histoire du storytelling. On sait seulement que le concept a été nommé ainsi aux États-Unis au tournant des années 1990, et qu’il a immédiatement séduit nombre d’agences de communication et de professionnel·le·s du marketing. Il faut dire que l’idée est aussi simple qu’efficace : elle s’appuie sur le constat que nous sommes bien plus prompt·e·s à nous laisser convaincre par un récit, plutôt qu’à examiner des faits bruts, des chiffres ou des arguments.

Un fonctionnement universel

Raconter une histoire pour persuader, informer ou éduquer : quoi de plus universel, en effet ? C’est ce que faisaient Homère et les troubadours du Moyen Âge. C’est encore ce que font les griots d’Afrique subsaharienne, les chamans Yanomami du Brésil et l’ensemble des religions de l’histoire de l’Humanité. La communication narrative fait à ce point partie du quotidien que nous la pratiquons souvent à notre insu : qui n’a jamais narré un conte de fées à ses enfants ? Qui n’a jamais fait visiter Bruxelles ou Liège à des ami·e·s en recourant à la légende de sainte Gudule pour l’une, ou à la chronique de la révolution pour l’autre ? 

La botte secrète des charlatans ?

Alors, quelle différence entre un simple récit et l’art du storytelling ? Imaginons que vous ayez entrepris de faire fortune en persuadant des milliers de gogos que votre élixir miraculeux les rendra agréables à regarder, riches et en bonne santé.

Au cours des siècles précédents, vos prédécesseurs s’arrêtaient sur les marchés pour vanter les vertus de leur cure de Jouvence. Puis l’arrivée de la publicité a développé une première forme de communication narrative. Le public découvrait alors l’édifiante histoire de tel témoin qui, à l’article de la mort, avait retrouvé vigueur, opulence et pouvoir de séduction grâce à la potion magique. Mais les contraintes du métier de charlatan obligent souvent ses adeptes à se renouveler. C’est pourquoi les spammeurs disposent désormais d’une technique de récit singulièrement plus élaborée. 

Quand les spammeurs s’en emparent

C’est ainsi qu’à l’été 2019, une annonce commerciale intrigua plusieurs usagers d’un réseau social bien connu. Prétendument issu du quotidien français Le Figaro, le lien menait vers un article contant le destin de deux jeunes femmes particulièrement brillantes. Celles-ci venaient en effet de recevoir un prix décerné par un collectif d’entrepreneur·e·s du monde entier. Prix évidemment assorti d’une prime de plusieurs dizaines de milliers de dollars… Car nos inventrices avaient conçu des pilules amincissantes à l’efficacité prodigieuse : en quelques semaines de traitement, quiconque les ingérait avait la certitude de retrouver une silhouette hollywoodienne !

Bien sûr, une rapide vérification permettait de constater que « l’article » du Figaro était un faux, que nos héroïnes de la minceur étaient inconnues des moteurs de recherche et que le prix en question n’a jamais existé. Mais le récit était si bien articulé que même l’auteur de ces lignes s’y est brièvement laissé prendre !

Storytelling et manipulation

Dans son livre Storytelling, la machine à inventer des histoires et à formater les esprits, Christian Salmon fournit nombre d’autres exemples de la même eau.

Il détaille notamment comment les conseillers de George W. Bush ont exploité la communication narrative pendant deux mandats. Leur plus spectaculaire fait d’armes ? Un petit spot électoral intitulé Ashley’s Story. En seulement soixante secondes, ce très court-métrage conte la résilience d’une jeune fille en deuil, sauvée de son désespoir par une paternelle étreinte de George W. Bush. Avec 19 millions de dollars de budget de diffusion, il cumule le double exploit d’avoir été l’un des spots de campagne les plus chers de l’histoire américaine, mais aussi la clé de voûte de la réélection de Bush en 2004.

Et, dans les camps démocrate et républicain, la plupart des analystes se sont accordé·e·s sur un point : John Kerry, le challenger de Bush, n’avait aucune chance. Ses propositions avaient beau séduire un·e électeur·trice sur deux, ce candidat souffrait d’une lacune impardonnable qui fit la différence : il n’avait pas d’histoires à raconter.

Dangereux car efficace ?

Si l’ouvrage de Christian Salmon est convaincant, l’auteur n’y dénonce donc pas la communication narrative pour son inefficacité. Au contraire, il lance un cri d’alerte : le storytelling est selon lui dangereux car il fonctionne ! Utilisé à des fins de manipulation politique ou commerciale, il aurait même des effets redoutables.

Susciter l’empathie

L’auteur feint seulement d’oublier qu’il ne parle finalement que d’un outil… Lequel peut indifféremment être utilisé à des fins destructrices ou constructives.

Ainsi, il arrive malheureusement que certaines personnes utilisent un marteau pour fracasser la tête de leurs semblables. Dans cette perspective, les faits divers proposent vraisemblablement un nombre élevé d’exemples pour qui voudrait publier un livre sur les dangers du marteau. Mais, de la même manière que le maillet accompagne d’autres desseins que ceux des criminels, le storytelling peut être l’allié des projets vertueux.

L’exemple bien connu de Charity Water en est un symbole. En 2011, cette ONG lançait une campagne de communication au résultat désastreux : trop long, trop bavard, son spot ne parlait que de chiffres et de faits. Comment sensibiliser les donateurs américains au quotidien du milliard d’êtres humains qui n’ont pas accès à l’eau potable ? Pour sa campagne suivante, l’association se tourna alors vers le storytelling. En soixante secondes, son second essai montrait le quotidien d’une famille contrainte de puiser et de boire une eau croupie.

Que croyez-vous qu’il arriva ? Cette fois, le nombre de dons explosa ! Car le storytelling a un effet bénéfique : il inspire l’empathie. Grâce à lui, un·e habitant·e de Bruxelles ou de Liège peut se sentir plus volontiers concerné·e par le destin de ses contemporain·e·s du Yemen ou d’Indonésie. Comment cela fonctionne-t-il précisément ? C’est ce que nous détaillerons dans notre prochain « conseil ».

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Sources

Christian Salmon, Storytelling, la machine à inventer des histoires et à formater les esprits, éditions La Découverte, Paris, 2008.

Ashley’s Story (2004) : https://www.youtube.com/watch?v=LWA052-Bl48

Charity Water : première campagne (2011) : https://www.youtube.com/watch?v=BCHhwxvQqxg ; deuxième campagne (2011) : https://www.youtube.com/watch?v=bzGb12fN3Uc